Marguerite Courtel : “Nous souhaitons porter les valeurs de demain dans une logique collaborative”
Dans le cadre d’une semaine thématique intitulée “Comment la culture change le monde” animée par Lucy Decronumbourg, chargée de production de la compagnie La Poursuite du Bleu, les étudiants de 5e année de l’ICART ont accueilli plusieurs professionnels engagés dans le secteur culture. Rencontre avec Marguerite Courtel, l’une des quatre cofondatrices des Augures qui agit en faveur de la transition écologique dans le monde de la culture.
Quel a été votre parcours professionnel ?
Je suis l’une des créatrices et expertes des Augures. Après des études en histoire de l’art et en commissariat d’exposition, j’ai évolué au sein de plusieurs secteurs professionnels : communication et digitale (agence Communic’Art), art contemporain (Fondation Carmignac, galerie Eric Mouchet) et transition environnementale (Art of change 21).
Pour quelle raison et dans quel contexte avez-vous cofondé les Augures ?
Les Augures est un collectif fondé en avril 2020 qui accompagne les acteurs du monde culturel dans leur transition écologique et dans leur capacité d’adaptation et d’innovation. Le collectif a été créé pour répondre à une demande de la part des structures culturelles, qui souhaitent être accompagnées et formées pour répondre de la meilleure façon aux enjeux environnementaux.
Comment est-ce que les Augures accompagnent ces structures ?
Les Augures exercent leurs missions dans deux pôles différents : Le pôle conseil qui fait de l’accompagnement des structures à la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises ), à l’écoproduction et de la formation. Le pôle associatif, lui, porte plusieurs projets d’animation de communauté, comme les Augures Labs.
L’accompagnement RSE consiste à accompagner les structures pour construire une vision et une stratégie RSE, déployer des solutions d’éco-management, sensibiliser et former les équipes aux enjeux de la transition environnementale.
Les Augures Labs sont des groupes de travail qui s’articulent autour de deux thèmes.
Le premier, l’Augures Lab Scénogrrrraphie (avec quatre R, pour Réduire Réparer Réemployer Recycler, les R de l’économie circulaire), est un collectif professionnel destiné à penser et développer les pratiques écoresponsables de la scénographie dans le champ du spectacle vivant et de l’exposition, et leurs enseignements. Il a pour objectif de fédérer les acteurs sur de projets d’éco-conception et de faciliter l’accès aux services de réemplois. Nous concevons actuellement une plateforme collaborative pour géolocaliser les solutions de réemploi, recenser et actualiser des annuaires, favoriser le partage d’expérience, recenser et synthétiser la connaissance et les actions innovantes à l’échelle locale et nationale.
Ce Lab s’organise autour de groupes de recherche action : chaque groupe travaille sur un sujet : la veille, les matériaux, les enjeux de R&D, la création d’un label… Ils se réunissent par le biais d’une réunion tous les mois, avec un invité inspirant qui vient partager une expérience.
Ensuite nous avons l’Augures Lab Numérique Responsable. Il s’agit d’un programme d’expérimentation collaboratif, en partenariat avec le studio Ctrl S pour éco-concevoir le numérique culturel.
Ce Lab réunit des professionnels et acteurs du secteur culturel pour prototyper et expérimenter des solutions, dans une approche de design. Il permet de former les participants et de créer collectivement des outils d’éco-conception numériques avec un temps de problématisation, des études de terrain, un temps d’idéation, puis le prototypage et la restitution.
Pouvez-vous nous expliquer un peu plus la notion de numérique responsable ?
Le secteur culturel a depuis plusieurs années cette envie de se déployer dans le numérique avec le Métavers, les NFT, le Web3. Or le numérique a une empreinte environnementale préoccupante puisqu’il représente 3 à 4% des émissions de CO2 au niveau mondial et qu’il est en forte augmentation. L’impact concerne principalement la fabrication des équipements et le visionnage de vidéos.
La question est alors d’identifier dans quelle mesure le numérique sert la culture et où il est superflu. Au sein de l’Augures Lab Numérique Responsable, les participants ont dégagé quatre thèmes de recherche : les infrastructures numériques, la communication numérique, la médiation numérique et l’enseignement supérieur.
Que signifie la transition écologique pour une exposition et comment accompagnez-vous ces projets ?
Certaines structures se posent la question de l’impact de leurs expositions et des scénographies. En effet, il arrive souvent que les scénographies ne soient pas réutilisées et finissent à la benne. Pour limiter un grand gâchis de matière, nous avons pu accompagner des structures sur l’écoproduction pour favoriser l’économie circulaire.
D’autres intègrent déjà ces enjeux dans leurs démarches, et nous les aidons dans la création de leur projet. Pour son exposition Couper les fluides (du 12/02/2023 au 08/07/2023), la Maison des arts de Malakoff a décidé de couper l’électricité, le gaz et l’eau pendant cinq mois, tout en continuant d’accueillir du public. Les horaires d’ouverture s’harmonisent avec les heures où il fait jour. Une fois par mois, la maison des arts organise des Agoras où des intervenants viennent partager des solutions sur des sujets précis. Les équipes de l’établissement s’autorisent deux heures de travail par jour avec un ordinateur. Cette expérimentation interroge le travail sans outils numériques, sans Internet et se fonde sur l’adaptation avec des contraintes énergétiques.
Nous avons donc réalisé un diagnostic des fluides pour suivre la consommation, et exploré des solutions alternatives pour assurer la mission du centre d’art d’accueil du public sans électricité ni chauffage. À l’issu de l’expérience “Couper les fluides” un support de restitution sera créé pour partager les résultats de cette expérimentation.
Comment les acteurs du secteur culturel perçoivent-ils les enjeux environnementaux et observez-vous une évolution dans leur demande d’accompagnement ?
La question climatique s’inscrit de plus en plus au cœur des interrogations des institutions culturelles, mais la compréhension du chantier à mettre en place est complexe. On voit se développer le rôle d’éco-référent ou de responsable RSE/RSO mais ces initiatives sont encore timides. Les organisations peuvent avoir tendance à se concentrer sur des actions concrètes, des écogestes, mais changer de modèle prend du temps et nécessite un travail de reconstruction de longue haleine car les changements à penser sont systémiques.
Pour attirer et motiver les organisations dans cette démarche, il faut donner envie d’entamer cette transition en touchant leur cordes sensibles, leur émotions, en expliquant que la transition n’est pas juste un renoncement mais c’est surtout l’idée de faire mieux, de faire autrement.
Propos recueillis par Margot Castel, Matthias Jeruzalska, Manoa Six-Webster et Cécile Lucenay
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